IMGP9581Nous l’appelions Julie à sa demande. Elle s’était choisi ce nom de théâtre aux riches souvenirs littéraires et elle le portait avec panache. Elle était à la fois la Julie pour qui l’on tressait des guirlandes de compliments mérités, la Julie passionnée qui volait à sa fille Sophie et à Jacques quelques heures de son amour pour satisfaire celui qu’elle portait aussi au théâtre, la Julie enfin qui régissait discrètement le groupe en donnant un conseil ici, un secours ailleurs et toujours un point de vue lucide et clair. Chacun à un moment ou à un autre a eu besoin de se confier à elle et d’en attendre une aide si bien qu’elle était l’âme de son petit monde. D’ailleurs elle payait d’exemple. Toujours la première à savoir son texte, elle arrivait aux répétitions après avoir travaillé chez elle et proposait une interprétation minutieusement préparée sur laquelle son metteur-en-scène, François ou Roger, n’avait plus qu’à lui suggérer quelques ajustements, mais Julie les vérifierait chez elle, en tirerait des harmonies personnelles qu’elle présenterait à la séance suivante, désireuse de surprendre et de ravir ses premiers spectateurs, c’est à dire ses camarades de travail. Et cela se savait. Dominique Labadie et Magali Hellias entre autres souhaitaient travailler avec elle. Mais la fidèle Julie donnait sa priorité au Tururut.

Paradoxalement, ou peut-être fatalement, c’est la douleur qui lui a donné son apothéose sur scène. Son combat contre la maladie est devenu aussi le révélateur d’une voix magnifique lorsqu’il a fallu limiter les déplacements sur le plateau et le moteur, d’une intelligence du texte aiguisée par l’expérience, d’une volonté admirable de dire l’universel, la lutte pour la dignité, la lutte farouche contre l’adversaire. La mort m’attend, c’est sûr, mais elle ne va pas m’empêcher de vivre, d’être, dans le temps où je la brave. Qui ne se souvient de la femme d’une douce ironie écrivant sur un coin de table à son compagnon de rencontre pour lui avouer ses infirmités et en tirer des rêves de bonheur ? C’était poignant et si simple. C’était Julie qui réconfortait Roro.

      R.P.

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